Vidéo HD, couleur, son, 66 min
Visionner le film. (accès restreint)
Depuis les accords de paix de Dayton en 1995, la Bosnie-Herzégovine, ancienne république de Yougoslavie, a été divisée en trois entités : la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, la Republika Srpska (République serbe de Bosnie) et le District de Brčko. Malgré l’obligation imposée par les accords de Dayton aux deux parties de respecter une Bosnie multi-religieuse et culturellement pluraliste, on a assisté depuis dix ans en Republika Srpska à diverses tentatives de renouer avec le passé afin de renforcer les prétentions hégémoniques serbes sur la région : construction d’églises à l’imitation des anciennes, exhumation de fausses ruines archéologiques, démolition d’édifices anciens pour fournir des pierres « authentiques » à la construction d’un ethno-village couplé à un parc à thèmes par Emir Kusturica, cinéaste de renom, deux fois Palme d’or au Festival de Cannes.
Kamen (« les pierres » en bosniaque, en serbe et en croate) se penche sur l’état de la société au lendemain de la guerre, au moment où elle rebâtit ses fondations nationales, culturelles et religieuses sur un déni et un effacement du passé. Le film se concentre sur deux exemples marquants : le monastère de Hercegovačka Gračanica à Trebinje, réplique de celui de Gračanica au Kosovo, datant du XIVe siècle, et le site de Kamengrad – officiellement Andrićgrad – situé dans la ville de Višegrad, à la frontière est de la Bosnie avec la Serbie.
La construction de Hercegovačka Gračanica est un hommage avoué à Jovan Dučić (1871-1943), poète et nationaliste ardent né à Trebinje, dont les restes, rapatriés des États-Unis où il est mort en 1943, sont déposés dans l’église. Alors que le monastère d’origine, à Pristina, s’insère avec cohérence dans le paysage environnant, sa réplique en béton armé domine la ville de Trebinje depuis le sommet d’une colline. À l’ouverture du monastère en 2000, les mosquées historiques de la ville étaient pour la plupart encore en ruine, résultat de destructions volontaires commises au plus fort des hostilités.
Financé conjointement par Kusturica, originaire de Sarajevo, et par les autorités de la Republika Srpska, Andrićgrad est également dédié à un écrivain célèbre, le romancier nobélisé Ivo Andrić (1892-1975). En 2012, Kusturica provoque un tollé lorsque les habitants de Trebinje découvrent que des ouvriers ont démoli, avec le consentement par- tiel du maire, une bonne partie du fort austro-hongrois de la ville afin d’achever avec ses pierres les façades de son ethno-parc à thèmes de Višegrad. L’action intentée par toutes les communautés de Trebinje, qui empêchera d’ailleurs la destruction complète du fort, se révélera d’autant plus gênante pour Kusturica qu’il avait affirmé pour promouvoir son projet qu’« ici on fait détruire tout ce qui rappelle le passé ». Kusturica a voulu faire d’Andrićgrad, inauguré comme attraction touristique et centre culturel, un potentiel décor de film pour un projet de longue date : l’adaptation cinématographique du roman historique d’Andrić, Le Pont sur la Drina. Posé sur une pointe de terre où la Drina rencontre son affluent, le Rzav, Andrićgrad donne en aval sur le fameux pont Mehmed Paša Sokolović du XVIe siècle qui a inspiré le titre et le thème du célèbre roman d’Andrić.
Alors qu’Andrićgrad imite des styles architecturaux de diverses périodes de l’histoire bosnienne dépeintes dans le livre d’Andrić (tour byzantine, caravansérail ottoman, café de la « Sécession » austro-hongroise, etc.), il est parachevé à l’extrémité de la pointe par une réplique miniature du monastère du XIVe siècle de Visoki Decani au Kosovo. Comme le Hercegovačka Gračanica à Trebinje, la miniature du Visoki Decani entend manifestement renforcer le mythe de Kosovo comme patrie originelle des Serbes. Kusturica, officiellement converti au christianisme orthodoxe en 2005, a réaffirmé ses intentions en inaugurant son parc le 28 juin 2014, trois ans après le début des travaux : alors que cette date marquait le centenaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin coïncide avec la fête nationale et religieuse la plus vénérée des Serbes, Vidovdan, célébrée depuis chaque année à Andrićgrad. Vidovdan (ou Saint-Vitus) commémore le martyre du prince Lazar à la bataille de Kosovo en 1389, événement à l’origine du "mythe de Kosovo" essentiel à la construction contemporaine du nationalisme serbe. Dans Kamen, la guide a beau souligner avec maladresse le désir de Kusturica de célébrer la diversité de l’identité bosnienne, Andrićgrad ne compte aucune mosquée. Pourtant, comme le film le raconte, le pastiche du passé régional idéalisé par Kusturica se trouve à l’emplacement d’un ancien centre sportif où la population musulmane, alors majoritaire dans la ville, a été retenue de force par les troupes serbes lors de leur campagne de nettoyage ethnique de la région. Toutes les tentatives de commémorer ceux et celles qui ont perdu la vie à Višegrad se sont heurtées à un refus de la population et des autorités locales.
Image : Roland Edzard
Son:TerenceMeunier
Montage : Julien Loustau, Alexandra Melot
Montage son : Josefina Rodriguez
Mixage : Mathieu Farnarier
Production : Sister Productions
Avec le soutien d’Image/mouvement – Centre national des arts plastiques, de la Mairie de Paris et de la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques
Sister Production
Lire un article de presse lié (PDF)
Afin de visionner les vidéos, veuillez entrer le mot de passe dans le champ ci-dessous :
Si vous ne disposez pas du code d’accès, vous pouvez soliciter Florence Lazar, en indiquant vos coordonées et éventuellement motiver votre demande dans le formulaire ci-dessous :